Quand le corps devient un territoire hostile
- Nathalie FOURY

- 13 déc.
- 4 min de lecture
Comprendre la rupture avec son image — et pourquoi ce n’est pas “dans ta tête”
Il y a un moment précis — parfois flou, parfois très net — où le lien avec son image se rompt. Pas forcément après un événement spectaculaire. Souvent après une accumulation silencieuse.
Des regards. Des mots. Des gestes déplacés. Des abus. Des humiliations. Des situations où le corps a été pris, jugé, commenté, manipulé, sans que l’on ait réellement le choix.
Un jour, on ne se reconnaît plus dans le miroir. Pas parce que le corps a changé. Mais parce que le regard posé sur lui n’est plus neutre. Il est chargé. Lourds de mémoire.
Et à partir de là, quelque chose bascule.
Quand le corps devient le réceptacle des blessures
On croit souvent que le rejet du corps est une question d’esthétique, de poids, d’âge, de normes.
La réalité est bien plus profonde.
Le corps devient le lieu où s’inscrivent les blessures non digérées.
Il porte ce qui n’a pas pu être dit. Ce qui n’a pas été entendu. Ce qui a été minimisé, banalisé, parfois nié.
Après certains vécus, le corps n’est plus perçu comme un allié. Il devient un rappel permanent. Une zone à contrôler, à cacher, à durcir… ou à faire disparaître.
Détester son corps n’est pas un caprice.
C’est souvent une stratégie de survie.
Le second traumatisme : quand l’entourage nie ce que tu ressens
À la blessure initiale s’ajoute presque toujours une autre couche, plus insidieuse : le déni de l’entourage.
« Tu n’as pas à te plaindre. »« L’important, c’est la beauté intérieure. »« Tu t’inventes des problèmes. »« Sois déjà contente d’être en bonne santé. »« Tu n’as que la peau sur les os. »« Les rondeurs, c’est signe de bonne santé. »« Si on s’intéresse à toi, c’est déjà bien. »
Ces phrases, souvent dites sans mauvaise intention, ont pourtant un effet dévastateur. Elles invalident l’expérience vécue. Elles créent culpabilité et confusion. Elles enferment la femme dans un rôle : celui de “celle qui exagère”, de “celle qui se plaint”, de “la victime”.
Le message implicite est clair : Le problème, ce n’est pas ce que tu vis. C’est toi.
Alors on doute.
On se tait.
On s’éloigne encore un peu plus de son ressenti.
La fracture intérieure : entre s’assumer et s’effacer
À force de décalage entre ce que l’on ressent et ce que l’on nous renvoie, une dualité s’installe.
Un jour, on veut s’assumer. Prendre sa place. Se montrer. Exister pleinement.
Le lendemain, on se néglige. On se cache. On s’efface. On abandonne son corps comme on abandonnerait un territoire trop douloureux à habiter.
Cette oscillation permanente crée une profonde perte de repères. On ne sait plus quelle posture adopter. On ne sait plus comment se tenir. Ni comment se présenter au monde.
Le reflet ne correspond plus à la personnalité profonde.
L’image devient un masque… ou un champ de bataille.
Pourquoi on ne traverse pas ça seule
Ce type de rupture ne se règle pas avec des affirmations positives ou un simple “travail sur la confiance”. Parce que ce n’est pas qu’un sujet mental.
Cela touche :
le psychisme
le système nerveux
le corps physique
la mémoire émotionnelle
l’énergie
le rapport au regard et à la visibilité
C’est pour cela qu’un accompagnement est souvent nécessaire. Psychologique. Énergétique. Corporel.
Et parfois, thérapeutique par l’image.
Ces approches ne s’opposent pas. Elles se complètent.
La thérapie par l’image : se réapproprier son reflet
L’image est puissante parce qu’elle ne triche pas. Elle met en lumière ce que le mental contourne. Elle révèle les tensions, les protections, les retraits… mais aussi la force intacte, souvent oubliée.
Être photographiée dans un cadre juste, sécurisant, conscient, ce n’est pas “poser”.
Ce n’est pas “faire semblant”.
C’est se voir autrement. À travers un regard qui ne juge pas. Qui n’exige rien.
Ce n’est pas apprendre à se trouver belle.
C’est se reconnaître.
Revenir habiter son corps
Détester son corps n’est pas une fatalité. Ce n’est pas un défaut de caractère. Ce n’est pas un manque de gratitude.
C’est souvent le signe qu’il y a eu trop de violence, trop de silence, trop de déni.
Revenir à soi ne consiste pas à se réparer. Mais à cesser de se battre contre son propre reflet.
À redonner au corps sa juste place : celle d’un allié, pas d’un ennemi.
C’est de cet espace-là qu’est né Double Regard.
Parce qu’il existe des chemins pour se revoir autrement.
Et parce que personne ne devrait traverser cela seule.
Il y a un moment où j’ai compris que je n’avais plus envie de lutter. Ni contre mon corps. Ni contre mon image. Ni contre moi.
Pendant longtemps, j’ai cru que quelque chose n’allait pas chez moi. Que si je me sentais en décalage, c’est que je n’étais pas “assez” :pas assez confiante, pas assez stable, pas assez alignée.
En réalité, je ne m’écoutais pas.
Mon corps parlait pourtant. Il se tendait quand je forçais. Il se fermait quand je me sur-adaptais. Il résistait quand je m’éloignais de ma vérité.
Le jour où j’ai arrêté de lui demander de suivre, et où j’ai commencé à le suivre, moi…quelque chose s’est apaisé.
Je n’ai pas appris à aimer mon corps. J’ai appris à le respecter. À reconnaître son rythme. À entendre ses non. À lui faire confiance.
À partir de là, mon image a changé. Pas parce que j’ai changé. Mais parce que je ne me regardais plus avec violence.
Aujourd’hui, je sais que se reconstruire ne veut pas dire se réparer. Ça veut dire revenir à soi. Doucement. Sincèrement. Sans se trahir.
Et si j’en parle, ce n’est pas pour donner une leçon. C’est pour dire que c’est possible. Qu’il existe un endroit, en soi, où le corps redevient une maison.
C’est à partir de là que tout commence vraiment.
Et si, au lieu de te corriger, tu choisissais enfin de te comprendre ?

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